Entrée 5

Par où commencer ? Oh, mon Dieu, mon Dieu…

 

Je ne pensais pas…

Je ne pensais pas que l’obscurité pouvait faire ça. L’isolement, l’absence totale qui m’entoure.

Enfant, j’ai eu peur du noir, comme tout le monde. Cette phase a passé, l’esprit adulte emportant finalement sur les terreurs d’une imagination inexpérimentée. J’ai appris des méthodes pour me distraire, puis me raisonner, et enfin ignorer.

Je ne pensais pas pouvoir vivre une telle certitude… Je dois respirer un peu.

 

Je me suis réveillé en sursaut, écrasé par une angoisse que je n’avais jamais ressentie. Mais comment savoir que j’étais bien sorti du sommeil ? Autour de moi, il n’y avait aucune lumière, au point où rien ne semblait exister. Aucun son non plus, et malgré le besoin de sentir que j’existais encore, je n’osais pas briser le silence, persuadé du malheur qui en découlerait.

J’étais certain, non : je savais qu’il y avait quelqu’un avec moi. Quelqu’un dans le sous-marin, juste à mes côtés. Je restai donc immobile un long moment, concentré sur le manque de bruit, au point d’avoir l’impression d’une douleur dans mes tympans. Imaginer des formes, tenter de changer mon impression comme je l’avais enseigné à Tim et Lucia, ne me vint à aucun moment. On ne doute pas de la réalité, et pour moi, à cet instant, il n’y avait aucun questionnement.

Peut-être étais-je encore en train de dormir. Peut-être que dans l’obscurité, le rêve était resté accroché plus longtemps. J’ai fini par me redresser d’un coup, comme dans un sursaut, me lançant sur l’interrupteur des lampes intérieures. Je ne l’ai pas trouvé immédiatement et mon courage s’est transformé en panique. J’ai fait un geste du bras pour repousser l’attaque que je savais arriver, et le choc que j’ai ressenti s’est transformé en douleur qui a vibré jusqu’à mon épaule. Enfin, la lumière s’est allumée, plus par le hasard d’un mouvement chanceux.

J’étais seul. J’avais percuté le dossier de mon siège pour bloquer une agression inventée.

Je suis resté immobile, incrédule, étrangement essoufflé. Puis mon regard s’est arrêté sur la porte qui mène au corps du sous-marin.

La cabine est la pièce principale, assez large pour me permettre d’être confortablement assis, autorisant tous les mouvements nécessaires pour le contrôle de l’appareil et l’observation de l’extérieur. Mais en arrière, dans le cylindre de métal qui prolonge la bulle à l’avant, une petite boîte permet d’entreposer du matériel. Mon imagination furieuse se battait avec ses proportions que je n’avais jamais considérées, jusqu’à ce que je décide qu’elle était assez grande pour accueillir un homme.

La petite porte me sembla brusquement plus présente, emplissant mon univers. À chaque inspiration, je m’attendais à la voir s’ouvrir subitement, libérant le danger que je ressentais derrière. Elle ne se fermait pas à clef, et en un regard, je m’assurai de ma dernière certitude : aucun objet autour de moi ne pouvait me servir d’arme.

Voûté, tremblant, je tendis la main, prêt à la retirer d’un coup. Un instant, j’hésitai à éteindre, à m’enfoncer dans les ténèbres et espérer que tout s’arrête. Finalement, alors que mes doigts s’étaient immobilisés à quelques centimètres de la poignée, je m’élançai et ouvris la porte de toutes mes forces. Je n’avais pas d’idée, autre que l’impulsion de libérer le passager, d’aller au bout de la peur qui me brouillait l’esprit.

J’entends encore mon cœur qui battait face au placard, qui même vide n’aurait pu contenir un être humain. La terreur s’était effacée, ma tête était vide, mon corps en suspend. Puis la raison revint, questionnant mon manque de sommeil et l’influence de la pression et de l’isolement.

Le choc qui suivit me déstabilisa, et je percutai la porte encore ouverte. Je parvins à retenir la fin de ma chute et la douleur déchira de nouveau mon bras jusque dans mon épaule, irradiant dans mon dos. Regagnant la chaise, je scrutai au travers des hublots à la recherche de la cause de cette secousse. Un instant, j’imaginais avoir percuté la falaise, ou peut-être étais-je arrivé au fond. J’allumai les lumières extérieures et cherchai autour de moi.

Sur le côté, le mur de roche fermait toujours ma vue à gauche, alors qu’à droite les rayons de l’éclairage se perdaient dans le vide sombre, où même la neige constante semblait se limiter à quelques points qui rappelaient le liquide de l’autre côté du hublot.

Je baissai la tête à la recherche d’un sol lunaire, mais l’abysse sous mes pieds ne finissait pas.

C’est alors que je le vis, ou du moins, crus le distinguer. Un mouvement inattendu, impossible, un coup de nageoire noire dans les ténèbres.

J’ai d’abord pensé à un réflexe de mon imagination affolée, un reflet de la lumière sur le hublot, ou peut-être un mouvement dans le courant. La vision avait si rapidement disparu que plus le temps passait sans autre indice, plus je me persuadais que le manque de sommeil et ma situation particulière jouaient des tours à mon esprit fatigué.

Puis un nouveau choc, plus violent que le précédent, plus franc également, secoua le sous-marin. Je ne pouvais à présent plus douter : j’étais attaqué.

L’appareil, placé en angle sous l’effet de la collision, se stabilisa lentement. À la recherche de mon agresseur, mon regard passait d’un hublot à l’autre, affolé. Pourtant, je mis un moment à remarquer que la falaise avait disparu de ma gauche. Je cherchais à présent à me repérer, observant aussi bien sur les côtés qu’en haut ou en bas, les doigts cloués aux bras de mon siège en prévision de la prochaine attaque.

Pris d’une brusque idée, je me jetai sur les interrupteurs commandant les lumières. En un mouvement, je me retrouvai entièrement dans l’obscurité. J’écoutai intensément, mais aucune indication ne me parvint. Pourtant, après plusieurs minutes d’attente, alors même que j’ose à présent prendre mon enregistreur pour déposer ces mots comme on vide son angoisse, j’ai encore le sentiment que dans le noir total, quelque chose est avec moi. Quelque chose qui tourne autour du sous-marin, ou qui se tient à mes côtés, quelques centimètres derrière moi.

J’ai fait tout ça pour mourir. Et malgré cela, à présent, j’ai peur.